86.
— J’ai tracé le téléphone de ton amie, Ari, s’exclama Morand, à l’autre bout de la ligne. Un vrai coup de bol ! À peine une dizaine de secondes. Elle doit être hors zone. Elle n’a même pas passé d’appel, j’ai juste eu le temps de trianguler le signal avec trois stations BTS. On peut dire que tu as de la chance…
— Où est-elle ? rétorqua Ari, impatient, en sortant de la bibliothèque de la Sorbonne.
Emmanuel Morand lui dicta l’adresse. C’était en banlieue nord, à Goussainville.
— Je te remercie, Manu.
Alors qu’il venait à peine de raccrocher, Ari reçut un appel masqué. Il fronça les sourcils, partit se mettre à l’écart dans un couloir de l’université, puis répondit sous le regard interrogateur de Krysztov.
— Allô ?
— Ari Mackenzie ?
— Lui-même.
— Erik Mancel à l’appareil.
L’analyste resta bouche bée. Il n’arrivait pas à y croire. Il commença par se dire que la coïncidence était troublante, puis il réalisa qu’au contraire elle était assez logique. Si Morand était parvenu à repérer le téléphone de Lola, c’était sans doute que Mancel était en train de s’agiter. Ils venaient peut-être de changer de lieu… Il serait alors déjà trop tard pour aller à Goussainville.
— Je suppose que vous savez qui je suis, je ne vais pas vous faire un dessin.
Ari ne répondit pas. Il essayait de réfléchir : quelle était la meilleure attitude à adopter ? Mieux valait faire en sorte que Mancel ne comprenne pas qu’Ari l’avait peut-être localisé. Il regrettait toutefois de n’avoir pas demandé à Morand de tracer aussi les appels que lui recevait. Mais Mancel n’était pas idiot. Il avait sans doute pris des précautions pour ne pas être repérable.
— J’ai ce que vous cherchez, reprit son interlocuteur, et vous avez ce que moi je cherche. Je pense que nous devrions pouvoir trouver un arrangement, non ?
— Je ne suis pas certain de vous suivre, mentit Ari pour gagner du temps.
— Ne vous faites pas plus bête que vous n’êtes, Ari. Je vous propose un échange : les carrés contre Mlle Azillanet.
— Qui me dit qu’elle est vraiment avec vous ?
Un soupir retentit dans le combiné.
— Vous voulez lui parler, c’est ça, comme dans les films ?
— Oui. Comme dans les films.
— Ne quittez pas.
Ari entendit son correspondant marcher. Il y eut des bruits métalliques, comme s’il descendait un escalier de secours, puis un fracas de portes. En retrait, il entendit la voix de Mancel : « Tenez, c’est votre amoureux ».
— Allô ? bredouilla une voix féminine en sanglotant.
— Lola, c’est toi ?
— Ari ! Je suis à…
La jeune femme ne put terminer sa phrase. Il y eut un bruit sourd et violent. Ari sursauta. Son cœur s’accéléra.
— C’est bon ? Vous me croyez maintenant ?
— Mancel, si vous touchez un seul cheveu de…
— Épargnez-moi les menaces à la Clint Eastwood, Mackenzie ! Je vous rends votre jeune maîtresse, vous me donnez les carrés, et on n’en parle plus.
Ari tenta de se contrôler. Il n’avait qu’une envie, c’était de dire à ce type d’aller se faire foutre et de venir lui régler son compte sur-le-champ. Mais il ne pouvait pas prendre de risques. La vie de Lola était en jeu. Pour l’instant, il devait gagner du temps. Suffisamment pour mener une expédition là où le signal de la jeune femme avait été tracé par Morand, en espérant qu’ils s’y trouvaient toujours.
— Ce n’est pas moi qui ai les carrés, mentit Ari. La DIPJ les a pris.
— Démerdez-vous. Si vous voulez revoir votre amie en vie, je suis sûr que vous serez capable de les récupérer.
Ari serra les poings. Il avait eu le bon réflexe. Il venait de gagner du temps. Assez pour mener son expédition à Goussainville.
— Laissez-moi quarante-huit heures pour les reprendre, dit-il d’une voix sèche.
— Je vous en laisse vingt-quatre et je suis très généreux. Soyez prêt avec les carrés demain midi. Je vous rappellerai une demi-heure avant pour fixer le lieu de rendez-vous. Si vous ne répondez pas, je lui coupe un doigt toutes les dix minutes jusqu’à ce que vous entendiez raison.
— Mais…
Mancel avait raccroché. Il rangea son portable dans sa poche, puis se tourna vers Zalewski :
— Krysztov, je crois que je vais encore avoir besoin de vos services.